Historique et Evolution du Mouvement Associatif en Algérie
Par le Professeur Djamil AISSANI
Membre Fondateur de l'Association Mathématique Algérienne (AMA)
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Dans cet exposé, je vais m'efforcer de vous présenter quelques éléments sur l'évolution du mouvement associatif dans notre pays. La notion d'association étant ici comprise dans sa signification actuelle. L'article 2 de la loi
90-31 précise que : "l'Association constitue une convention régie par les lois en vigueur dans le cadre de laquelle des personnes physiques ou morales se regroupent sur une base contractuelle et dans un but non lucratif. Elles mettent en commun à cet effet, pour une durée déterminée ou indéterminée, leurs connaissances et leurs moyens pour la promotion d'activités de nature notamment professionnelle, sociale, scientifique, religieuse, éducative, culturelle ou sportive". Il est utile ici de rappeler que le terme association vient du mot latin socius, qui signifie compagnon (Amdukal).
La création des premières associations en Algérie remonte au début du siècle. Deux événements, me semble-t-il, en ont été l'origine. Tout d'abord, la restructuration de la sphère culturelle algérienne, qui avait été entreprise dès les années 1880 et ensuite la promulgation de la fameuse loi 1901 sur les associations. Les lettrés de l'époque, aussi bien arabophones que francophones, avaient participé à la mise en place d'un nouveau réseau de socialisation culturelle et dont le maillon central sera constitué par les cercles culturels (les Nawadi). Dès 1902, la Rachidiya est fondée à Alger. En 1907, le cercle Salah Bey est créé à Constantine. Le mouvement s'étend rapidement à toute l'Algérie (l'Amicale des Sciences Modernes à Khenchela, le Cercle des Jeunes Algériens à Tlemcen, la Société al Akhouya à Mascara, la Toufikiya à Alger, la Saddikiya, le Cercle du progrès à Annaba,...) et déborde même parfois le cadre des villes pour s'implanter dans des villages : c'est le cas de L'Union à Tighenif et du Progrès Saharidjien à Djemaâ Saharidj. De nouvelles préoccupations aussi bien sociales, culturelles, religieuses que politiques animent ces cercles.
En plus des Nawadis, d'autres lieux de rencontres existaient, mais, n'étaient pas très nombreux : II y avait la mosquée, le Souk, le café, et Tajmaât (c'est-à-dire, l'assemblée) au niveau des villages.
Dans les villes, le Nadi a concurrencé la mosquée, même dans le mouvement islahiste. L'entre-deux-guerres mondiales a été son époque phare. Avocats, médecins, instituteurs, commerçants, fonctionnaires, journalistes, tous liés aux forces politiques, religieuses et intellectuelles modernistes, s'y retrouvaient à l'occasion, ou régulièrement, et ont relancé la société civile, en substituant l'association d'aujourd'hui à la corporation d'hier, dans une profusion de groupements, de clubs et de sociétés philanthropiques, sportives, musicales,... [2]
Le café quant à lui, il était le Nadi du peuple, le cercle du pauvre. C'était l'endroit où l'on se retrouvait, où l'on échangeait des nouvelles, celles du pays et celles du jour entre ville et village, entre travailleurs et petits commerçants. Le café était également "siège social" pour les travailleurs algériens, syndiqués ou non et local politique, en dépit de la surveillance policière. [2]
Autour de ces cercles culturels et de ces cafés, une vie associative relativement importante se forge. Ces premières associations sont essentiellement des organismes à caractère corporatif qui fonctionnent à la défense et à l'expression des segments concernés et non au regroupement de toute la société.
Il semble que le véritable essor du mouvement associatif en Algérie date des années 1920. Après la première guerre mondiale, ce mouvement, utilisant les possibilités de la loi 1901, va s'efforcer de mettre en évidence la spécificité d'une culture et d'une spiritualité propre à notre pays. II est ici intéressant de constater comment un groupe est socialement produit par l'interaction de l'agrégation sociale et de la sensibilité culturelle.
A cette époque, il existait sur le territoire français trois catégories d'association : non déclarée, déclarée et d'utilité publique. Ces associations étaient régies par la fameuse loi de 1901 qui permet encore de nos jours, en France, de créer librement toute association non déclarée, sans formalité. II suffit à deux personnes de se réunir et de décider de l'objet (même sans avoir de statuts et sans désigner des dirigeants).
Une association non déclarée n'est pas illégale, mais elle est dépourvue de capacité juridique et par conséquent ne peut signer un bail, ouvrir un compte en banque,... Cependant, elle peut encaisser des cotisations et avoir des biens mobiliers indivis entre ses membres. Une procédure d'annulation et de dissolution pouvait être entamée, car "toute association fondée sur une cause ou en vue d'un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes mœurs ou qui aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire ou à la forme républicaine du gouvernement est nulle et de nul effet".
Il existe encore de nos jours des traces de la densité des corporations et du mouvement associatif sur le territoire algérien à cette époque. En novembre 1997, les Archives nationales avaient produit et présenté, ici même à Béjaïa, à l'occasion du Colloque international "Béjaïa et sa région à travers les âges" une exposition intitulée "Les sources concernant Béjaïa et conservées aux Archives de Constantine". Un bref coup d'œil sur le fond économique permet de constater le foisonnement de syndicats spécifiques. Ainsi, rien que pour la région de Bougie, on peut constater :
Dès 1928, la présence d'un Syndicat Professionnel de la
Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles agricoles de Bougie ;
Syndicat des travailleurs du bâtiment de Bougie, 1933 ;
Syndicat des liégeurs bouchonniers, 1933 ;
Syndical des patrons et ouvriers coiffeurs, 1936 ;
Syndicat des marins de Bougie, 1936 ;
Syndicat des employés de la région de Bougie, 1937 ;
Syndicat des ouvriers briquetiers de Bougie, 1937 ;
Par la suite, a la fin des années trente et au début des années quarante, plusieurs corporations voient le jour à Bougie : ouvriers coiffeurs, garçons de cafés et restaurants, gargotiers, boucliers détaillants, transports routiers, agents généraux d'assurances, conditionneurs de figues sèches, détaillants de tabacs, négociants en céréales, artisans cordonniers, industriels liégeurs, ouvriers métallurgistes, ouvriers routiers, épiciers détaillants, laitiers, primeuristes, ouvriers agricoles, marchands de beignets et gâteaux, entrepreneurs de manutention maritime... [1]
En ce qui concerne les Associations musicales et les clubs sportifs, ils étaient en quelque sorte des intermédiaires culturels, où se rencontraient et se renouvelaient la culture du Nadi et celle du café. Les sociétés de musique véhiculaient certes la valeur d'une catégorie spécifique (art andalou,...), mais la musique Chaâbi d'une part, l'accès croissant des musulmans aux sports populaires (football, boxe) et la création de clubs sportifs musulmans d'autre part, établissaient des formes et des lieux d'échange entre ce qui venait du Nadi et ce qui venait du café. Ces deux types d'associations (musicale et sportive) ont occupé massivement la centralité spatiale et fonctionnelle de la culture algérienne des années 30. [2]
Ainsi, toujours concernant Bougie, le Fonds associations diverses des Archives de Constantine fait apparaître de 1932 à 1940 les associations suivantes :
La Fraternelle d'Akbou à Aubervilliers (Akbou, 1938 - 1939) ;
La Jeunesse Sportive Musulmane de Bougie (1936) ;
Es Salam (Bougie, 1936 - 1937) ;
Amicale des Origines de la Commune d'Akbou (Alger 1937) ;
Echabab El Fenni (Bougie, 1937) ;
Errahmania (Soummam, 1938) ;
Ennassiria (Bougie, 1937 - 1938) ;
Amicale de l'Ecole de Chemini (Soummam, 1937) ;
Eveil d'Aourir Oualmi de la Fayette (Bougie, 1938) ;
El Itihad (Sidi-Aïch, 1937);
Es Saâda (Sidi-Aïch, 1936 - 1938) ;
L'Avenir de Béni-Oughlis (Bougie, 1936 - 1937) ;
Association des Elèves de l'Islah (Bougie, 1937) ;
Medersa privée de Guelaâ, Douar Boni (Akbou, 1935).
D'un autre côté, il existait une forme de sociabilité pré-associatives, qui donnait aux jeunes des quartiers (El Houma), les moyens de renforcer leur cohésion et d'expérimenter ensemble le rapport au monde des adultes et à la société coloniale. Trois "écoles" contribuent à fixer puissamment le groupe d'âge, à confronter sa solidarité organique : la rue, la classe, les scouts. Dès les années 20, le football connaît un engouement exceptionnel et passe dans les jeux de la rue, pour les grandes villes au moins. La petite équipe de quartier était une structure préparatoire aux regroupements associatifs. Elle entretenait la conscience de groupe, l'esprit de compétition et de solidarité, l'émulation,... [2]
Bien entendu, toutes ces associations vont jouer un rôle essentiel dans la prise de conscience des populations et surtout dans l'installation de la base du mouvement national. En effet, comme l'a si bien souligné Mostefa Lacheraf, "nos compatriotes, bien que démunis de beaucoup de possibilités, s'étaient ouverts, comme par effraction, sur le monde moderne et puisaient, en même temps dans le vieux fonds des traditions maghrébines, des valeurs socialement utiles ou perfectibles, des habitudes de vie sobres et décontractées, la modestie, la pudeur, le sens de la dignité et de la cohésion communautaires. Cette Algérie là... s'était créée contre vents et marrées en repoussant de toutes ses forces l'aliénation multiple imposée par le colonialisme en forgeant, du même coup et à longue échéance, les instruments concrets (psychologiques, organisationnels et moraux) de sa lutte de libération".
Le déclenchement de la guerre de libération, puis la politique adoptée par le parti F.L.N. après l'indépendance ont freiné l'extension du mouvement associatif. En effet, dès l'indépendance, la législation algérienne a rigoureusement contrôlé le champs associatif. La circulaire de mars 1964 et l'ordonnance de 1971 ont accordé à l'administration des pouvoirs étendus pour contrôler la création et le fonctionnement des associations.
L'ordonnance du 03 décembre 1971, modifiée par celle du 07 juin 1972, a autorisé l'établissement d'associations culturelles, sportives, artistiques ou religieuses. En son article 2, elle stipule que la création d'une association doit requérir un triple agrément : l'un du ministère de tutelle, le second du ministère de l'intérieur et le troisième, du représentant de celui-ci à l'échelon local. Ces barrages dressés par l'ordonnance de 1971, renforcés par les garde-fous administratifs, ont dressé un obstacle considérable à la constitution d'associations.
Cependant, certaines sensibilités ont recouru à divers procédés pour franchir cet obstacle juridique. C'est le cas notamment de certaines associations à caractère religieux. Selon le Professeur Mahfoud Bennoune, le plus efficace des artifices a été l'inversion de l'ordre des choses. Par exemple, construire d'abord une mosquée, puis demander l'agrément ensuite.
C'est en 1924 que fut fondée l'une des toutes premières associations à caractère religieux : II s'agit de l'Association Fraternité Culturelle (Djamiyyat al Ikhaa al Ilmi), Dès 1931, l'Association des Ulémas Musulmans Algériens (A.U.M.A) a conquis sa place dans le paysage associatif de l'Algérie. La dissension de la frange maraboutique une année plus tard (il s'agit ici de la fondation à Alger le 16 septembre 1932 de l'Association des Ulémas Sunnites Algériens) n'a pas freiné le dynamisme de celle association. L'article 1 de ses statuts stipule que l'A.U.M.A est "une association islamique, éducative et bienfaitrice".
Après l'indépendance, la première manifestation de ce type d'associations semble remonter à la fondation de l'Association "Al Qiyam al Islamiya" (les valeurs islamiques) en 1963. Bien qu'elle fut interdite en 1965, sa revue Al Qiyam va continuer à paraître jusqu'en 1971.
Quant aux autres sensibilités, qui n'avaient pas pu franchir les obstacles juridiques, elles avaient deux solutions : activer clandestinement (dans les mosquées, les lycées, les universités,...) ou bien intégrer les institutions officielles : U.N.J.A., Comités de Volontariat,...
Rappelons ici qu'à cette époque, c'est-à-dire en 1971-1972, s'était ouvert en Algérie le contexte de la construction du socialisme. Les luttes de cette époque ne répondaient pas seulement à un besoin en matière d'espace culturel, elles étaient également motivées par la mise en œuvre des trois révolutions (agraire, industrielle et culturelle), qui ont porté sur le devant de la scène les comités de volontariat des universités. De 1971 à 1976, le pouvoir avait jugé nécessaire d'associer à son action les étudiants de gauche, qu'il avait sévèrement réprimés quelques années plus tôt.
Quant à la mouvance berbère, il a fallu attendre, me semble-t-il, le Printemps berbère de 1980 pour que des dossiers de création d'associations culturelles soient déposés. Bien entendu ces actions n'aboutissent pas. C'est le cas notamment du projet de l'association Amugas à Alger par Mouloud Mammeri et Ben Mohamed et du projet de l'association Twizi à Tizi-Ouzou en décembre 1981.
C'est en 1987 que les pouvoirs publics affichent une certaine volonté de libérer la vie associative. Malheureusement, le retard était déjà considérable. Ainsi, les chiffres communiqués par le ministère de l'intérieur à cette époque font état de l'existence de 11 000 associations à l'échelle nationale (cf. El-Moudjahid du 12/05/1988). A titre de comparaison, à cette même période, il existait plus de 500 000 associations en France.
Le 21 juillet 1987 apparaît donc la loi 87-15. Cette loi a permit à certains types d'associations, tolérées par les pouvoirs publics, de voir le jour et de se développer. C'est le cas notamment des sociétés savantes, des associations de parents d'élèves et des associations caritatives.
J'ai personnellement participé à la fondation en 1988 de l'Association Mathématique Algérienne. Dans tous les pays et à toutes les périodes, le mouvement des sociétés savantes a joué et continue de jouer un rôle non négligeable dans le développement scientifique. En Algérie, il a donc fallu attendre la parution de cette loi de 1987 pour que soit offerte à la communauté mathématique algérienne l'opportunité de construire ce cadre.
Une association, pourquoi faire ? Tout simplement pour réaliser ce que la communauté mathématique algérienne souhaitait faire pour le développement de la recherche, de l'enseignement, des applications comme contribution à l'épanouissement de la société algérienne. Il ne s'agissait pas d'aligner des conjonctures, mais de construire, pierre par pierre, la vie mathématique du pays. Un accueil favorable avait donc été constaté au niveau du service concerné du Ministère de l'Intérieur. Dans le projet de statuts que nous avons lu en Assemblée Générale, seuls les articles spécifiques à l'Association Mathématique Algérienne avaient été discutés. En effet, les autres articles étaient basés sur la loi N° 87-15 et le décret N° 88-16 du 02 février 1988, fixant les modalités d'application de la même loi ainsi que les dispositions statutaires communes aux associations.
II est nécessaire ici de souligner que cette loi n'a pas été réellement libératrice. En effet, la loi 87-15 définit d'emblée le cadre auquel les associations doivent se référer. L'article 4 de la présente loi stipule "qu'est interdite et considérée nulle de plein droit toute association dont la mission est :
Contraire au système institutionnel établi ;
De nature à porter atteinte à l'intégrité du territoire national, à l'unité nationale, à la religion d'état, à la langue nationale et aux choix fondamentaux" (J.O. de la R.A. du 29 juillet 1987).
A litre d'exemple, cet article a exclut toute possibilité de création d'associations qui se fixerait comme objectif la promotion de la langue et de la culture berbères.
Ce sont les événements d'octobre 88 qui vont réellement permettre au mouvement associatif de se développer. Selon Benjamin Stora, cette date représente une date inaugurale, celle d'une vision du passé et du présent ouvert sur une conception plurielle de l'histoire révélant une explosion de paroles longtemps enfouies, de discours concurrents. Commence une période d'effervescence, de défis, portés par des mouvements de tous horizons, berbères, féministes, islamistes, sociaux, immergés depuis toujours dans les profondeurs de la société. Il faut également préciser que ce mouvement, émerge, se situe dans un contexte plus vaste, plus global de l'histoire de l'humanité. Il intervient un an à peine avant la chute du mur de Berlin et le déclenchement du "Printemps de Pékin" de 1989.
C'est à la faveur de la "libéralisation " politique consacrée par la constitution du 23 février 1989, que s'est mis en place en Algérie un tissu associatif dense. En particulier, elle permet enfin à la sensibilité berbère de trouver un cadre légal d'expression.
Néanmoins, la loi n° 90-31 du 04 décembre 1990 relative aux associations maintient encore des restrictions. Ainsi son article 45 stipule que : "Quiconque dirige, administre ou active au sein d'une association non agréée, suspendue ou dissoute ou favorise la réunion des membres d'une association non agréée, suspendue ou dissoute est puni d'une peine d'emprisonnement de 3 mois à 2 ans et d'une amende de 50 000 D.A. à 100 000 D.A. ou de l'une de ces deux peines seulement".
C'est donc en 1991 que se met en place un important tissu associatif dans notre pays : Associations sociales, caritatives, culturelles, écologie et environnement, protection des consommateurs, féminines, de lutte contre l'analphabétisme,... Chaque école possède son association de parents d'élèves et chaque mosquée a son association religieuse.
L'exemple le plus frappant de l'essor du mouvement associatif est venu de la Kabylie. Les données statistiques disponibles auprès de la DRAG (Direction de la Réglementation et des Affaires Générales) de la Wilaya de Béjaïa au début de 1995 font état d'environ 2 100 associations, tous caractères confondus. 30% sont des associations de quartier, 27% sont des associations de parents d'élèves et 14% sont des associations religieuses. Elles sont suivies par les associations culturelles et sportives avec respectivement 10% et 8%. Viennent enfin les associations humanitaires, professionnelles, de jeunes, d'enfants, de femmes, de santé, des handicapés et les associations scientifiques et de la protection de l'environnement.
Une étude réalisée par un étudiant de magister de l'Université de Béjaïa, indique néanmoins que les associations dans celte région se font et se défont. Leurs activités ne sont pas régulières. Certaines n'ont jamais activé depuis leur naissance. C'est pour cette raison qu'il affirme ne pas pouvoir mesurer avec précision le degré de dynamisme de ce mouvement associatif.
Ainsi, en ce qui concerne les associations de quartier, il constate que le terme "quartier" attribué à ces associations prête à équivoque. En fait, certaines sont à caractère culturel, d'autres sont à caractère sportif. Cependant, la majorité sont à caractère social. Nous savons que certaines associations ont été créées, par exemple, uniquement pour l'installation d'une parabole.
Mouloud Kourdache s'est particulièrement intéressé aux associations culturelles amazighes. C'est la consultation des statuts, notamment l'exposé des motivations et des objectifs, qui a relevé le lien entre ces associations et la question de la langue et de la culture amazighes. Il constate notamment que les 204 associations culturelles Amazighes de la Wilaya de Béjaïa sont toutes nées après 1989.
Durant les premières années de l'ouverture politique, un esprit d'émulation était apparu parmi les associations. Certaines d'entre elles avaient contribué à réactiver certaines pratiques ancestrales dans les villages. La principale constatation est que les activités des associations de villages ne reflètent pas les objectifs fixés dans les statuts. Ainsi, plusieurs associations culturelles se sont penchées ces dernières années sur les problèmes sociaux en raison, probablement, de la situation économique du pays. Certaines d'entre elles sont devenues des associations sportives. Au début, la plupart des associations projetaient d'assurer plusieurs activités. Mais avec le temps, et en raison du manque d'encadrement et de moyens financiers, elles finissent par se spécialiser dans des activités spécifiques : théâtre, enseignement de la langue amazigh, poésie, animation en général (troupe de musique, chorale, exposition, commémoration et hommage). Beaucoup d'entre elles sont versées dans l'animation des jeunes. Ces activités sont occasionnelles et donc ne s'inscrivent pas toujours dans la durée.
Il a également été constaté qu'en ville, la plupart des associations conservent une certaine distance par rapport aux instances administratives. A titre d'exemple, plusieurs d'entre elles entretiennent des relations avec le CIAJ (Centre d'Information et d'Animation des Jeunes) et la DJS (Direction de la Jeunesse et des Sports). Mais ces relations se limitent à une sorte de contrat-programme qui stipule que l'association doit participer aux différentes activités organisées par ces organismes, notamment lors de la commémoration des dates historiques. En contrepartie, ces associations peuvent recevoir des subventions.
Selon les données recueillies par Mouloud Kourdache auprès du CIAJ de Béjaïa, le nombre d'associations partenaires de cet organisme (tous caractères confondus) est de l'ordre de 154, dont 33 à caractère culturel. En particulier, seules quarante associations, tous caractères confondus, ont participé à la rencontre organisée en mars 1996 par le CIAJ et la DJS et qui avait pour objectif la préparation du stage de formation des animateurs des associations de villages et de quartiers. Les principaux problèmes qui avaient été soulevés sont le financement et l'acquisition d'un local.
Parfois c'est un événement particulier qui peut être à l'origine de l'émergence de certaines associations. Tout le monde dans notre région se souvient du combat de l'Association Ecologique d'El-Kseur contre le projet de l'implantation d'une cimenterie.
Il arrive également que ce soit les pouvoirs publics qui constatent l'insuffisance de l'essor du mouvement associatif dans certains domaines. Malheureusement, c'est toujours après que se soient produits des événements graves. C'est notamment le cas des associations de protection des consommateurs, après la fameuse affaire du botulisme. Or, de nombreux signes laissaient prévoir une telle situation.
La prise de conscience ne s'était pas encore faite en raison de l'absence de statistiques. Or, du 1er janvier 1998 au mois d'août de l'année en cours, près de 2 000 cas d'intoxications ont été recensés en Algérie, occasionnés essentiellement par des pesticides, des champignons, des aliments avariés, mais surtout par le manque d'hygiène. C'est précisément ce tout dernier paramètre qui a été à l'origine des 24 décès de Constantine et des 12 décès de Sétif, des suites de cette épidémie de botulisme qui avait frappé les 7 Wilayas de l'Est. N'étant pas préparé à gérer pareille situation, certains observateurs affirment que le personnel hospitalier avait montré des signes d'affolement. Sur le plan économique, la prise en charge des 340 cas enregistrés a coulé pour l'heure 4 milliards de centimes.
L'Algérie aura-t-elle à l'avenir les moyens sanitaires de contrecarrer des épidémies aussi foudroyantes ? Quelle stratégie devrons-nous adopter et quelles mesures appliquer pour que la population ne se sente pas menacée ? Certes, les bureaux d'hygiène communale existent, mais ils souffrent d'un manque flagrant d'effectifs. C'est ici que les associations auraient pu jouer un rôle. Or, tout le monde a constaté l'inefficacité du mouvement associatif dans le domaine de ta protection du consommateur. Les rares associations qui existent n'étaient pas prises au sérieux par les pouvoirs publics et ont du mal à prendre en charge les réclamations des citoyens. Pourtant, en matière de sensibilisation, tout reste à faire. Il n'y a même pas de guide du consommateur.
En plus de ce type classique d'associations, il existe également de nos jours des structures spécifiques qui méritent d'être évoquées. Ainsi, on remarque ces dernières années un foisonnement de fondations, chargées de prendre en charge et de promouvoir l'héritage de certaines personnalités : El Mokrani, al Anka, Belkhanchir,... Les fondations les plus dynamiques sont celles qui sont ouvertement soutenues, financièrement et matériellement, par les pouvoirs publics (voir le cas de la fondation Boudiaf), qui ont un cadre de rayonnement spécifique (par exemple l'école des beaux-arts pour la fondation Asselah) dont les dirigeants sont des parents des personnalités en question (cas de Driss el Djazaïri pour la fondation Emir Abd El Kader). Si ces conditions ne sont pas réunies, la mise en œuvre d'un projet n'est pas évidente. Ainsi, le projet de création de la fondation Mouloud Feraoun n'a pas pu aboutir, malgré la volonté du fils de l'écrivain et du dynamisme de l'Association culturelle de son village natal.
Le cadre de la Fondation a notamment permis à la capitale de notre pays de rendre concret te projet de la Cité des Sciences et de la Découverte. En effet. Monsieur le Ministre-Gouvemeur du Grand Alger a su exploiter ce créneau de la fondation et obtenir ainsi les crédits nécessaires à la mise en œuvre du projet.
iI a notamment installé un Conseil d'Administration, dans lequel sont représentées les plus grosses "boites" présentes dans la capitale. Le cadre de ta fédération a également permis à certaines associations de mieux faire entendre leur voix. On avait déjà à l'échelle nationale les exemples des fédérations d'associations de parents d'élèves ou d'associations culturelles Amazighes. Mais là où l'on a bien pu cerner les enjeux réels, c'est à la "compétition féroce" que se sont livrée les confédérations de patrons à la veille de la désignation du tiers présidentiel au sénat. Or ces dernières années, cette structure (la fédération) a même fait son apparition au niveau local, pour prendre en charge les problèmes socio-économiques des citoyens. C'est le cas dans notre région de la FAZORC ou de la Fédération des associations d'Ath Mimoun. Un exemple citadin tout à fait récent nous vient de Bordj Menaïl. En effet, la dégradation du cadre de vie a été à l'origine d'une action menée par le mouvement associatif. Ce dernier s'est organisé pour imposer les changements nécessaires. Trois regroupements ont été effectués au mois de septembre dernier, par une vingtaine d'associations culturelles, sportives et sociales. Parmi leurs préoccupations : la qualité de l'eau potable et sa distribution, la vente des espaces verts, la fermeture des jardins publics, l'absence d'éclairage public, le réseau d'égouts,...
Voici donc les quelques réflexions que je voulais faire à propos de l'évolution du mouvement associatif dans notre pays. Une multitude de questions vient aujourd'hui spontanément à l'esprit :
Que faut-il faire pour dynamiser les comités de quartier ?
Les associations de parents d'élèves jouent-elles réellement leur rôle ?
Le troisième âge (notamment les retraités) est-il suffisamment représenté au sein des associations ?
L'approfondissement de cette réflexion, dans le cadre par exemple de forums comme le nôtre, permettra certainement au mouvement associatif d'apporter sa contribution réelle à l'épanouissement de la société algérienne.
Je vous remercie pour votre attention.
Source :
Actes du Colloque sur
"Le mouvement associatif à caractère culturel".
COMPLEXE SPORTIF DE PROXIMITE D'OUZELLAGUEN.
Jeudi, 1er février 2001
Cette page est disponible sur : http://www.ifrance.com/sidiyahiainterface/html/histmvtasso.htm
* Cette Conférence, présentée au Forum des Associations de la Commune de Béjaia (Maison de la Culture, Novembre 1998 ) est Aujourd'hui un document de référence.